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25 janvier 2016 1 25 /01 /janvier /2016 15:48
 Les abeilles et les papillons

  Information et phéromones 

 

Le billet précédent nous laissait devant une interrogation :

  • faut-il s’abandonner à des automatismes, propres à notre espèce parmi toutes les autres, en comptant sur une sorte d’intelligence commune intuitive qui se dégagerait des comportements aléatoires, par la sélection darwinienne au fil des millénaires, en fonction de leurs conséquences favorables ou non à la survie ? Faut-il donc s’abandonner à une sorte de matérialisme animal ?
  • faut-il se laisser guider par une réflexion sur le « bien ou mal », donc entrer dans un système de valeurs personnelles, mais pouvant être mises sur la place publique par le moyen d’échanges de ressentis conceptualisés, communiqués entre individus par le moyen d’un corpus de « principes communs » à toujours réactualiser, en exploitant l’originalité fondamentale de l’espèce humaine, à savoir la pensée symbolique ?

 

Il faut aussi prendre en compte que la réussite spectaculaire de l’espèce humaine tient à sa capacité de s’organiser de manière ultra-complexe, en des collectivités très structurées, indispensables pour parvenir à l’efficacité collective spectaculaire qui est la notre si l’on considère sa créativité et l’ensemble de ses multiples réalisations. L’individu humain isolé est un être extrêmement fragile.

 

Pour explorer la première branche de l’alternative, regardons les espèces animales très structurées qui perdurent depuis des dizaines de millions d’années, ce qui est la preuve incontestable de l’efficacité de leurs pratiques.

 

Quand il s’agit de symboliser un monde axé sur la production savamment organisé et dédié uniquement à la consommation, la ruche est toujours choisie. Elle est vue comme le système socioéconomique animal le plus structuré en dehors de l’espèce humaine. Ce n’est donc pas par hasard.

Regardons donc les abeilles pour observer des pratiques comportementales qui font au fil des millénaires la preuve de leur efficacité. Comme elles ont une très bonne image subliminale, espérons que personne n’y trouvera de comparaisons désobligeantes, mais je n’en suis pas si sûr que cela.

Bien sûr, il ne s’agit dans cet exercice que de typer les comportements observables, non pas les ressentis, ni les réflexions intimes, encore moins une supposée pensée métaphysique. Le mental d’une abeille n’a sûrement rien à voir avec le niveau de réflexion d’un homo sapiens, même si celui-ci se situe parfois également au ras des fleurettes.

 

Nous ne disposons pas non plus des mêmes outils physiologiques et matériels que les abeilles. Déjà, nos capacités de communication entre individus, les échanges d’information pour assurer le fonctionnement collectif sont différents. Les abeilles n’ont pas la télévision ni le web mais elles utilisent d’autres médias : les phéromones, autrement dit des signaux odorants, les tapotements d’antennes, les danses rituelles, etc. Grâce à ces vecteurs d’information, elles sont capables de se coordonner pour mener des tâches complexes. Par ailleurs elles ont aussi des comportements individuels tout à fait autonomes, mais intégrés de fait dans le fonctionnement général de la ruche.

Nous avons l’équivalent par d’autres moyens, mais avec des effets comparables.

 

Ce qui s’impose très vite à l’observateur d’une ruche, c’est le miel. Même les ours mal léchés y sont sensibles. D’abord ça colle mais c’est bon, et par ailleurs, la plus grande partie des activités observables apparaissent destinées à le fabriquer et à en faire des réserves. Une partie est consommée par les abeilles, une autre est détournée par l’apiculteur qui s’active à les faire produire. S’il se montre trop accaparateur, cet exploiteur leur fournit du sucre pour les empêcher de mourir de faim et leur permettre de continuer à travailler pour l’entretenir.

Pour un esprit narquois, un parallèle avec l’espèce humaine apparaît déjà : la ruche est l’économie réelle, le miel qui attire les envieux de toutes natures correspond aux capitaux, l’apiculteur est le monde de la finance, et le sucre est le crédit.

 

La structure sociale des ruches est très hiérarchisée. Il y a les reines, les faux-bourdons, les ouvrières et les larves.

 

Les reines ont trois activités fondamentales au titre de leur statut privilégié : la consommation de ce mets raffiné qu’est la gelée royale, l’élimination de leurs rivales potentielles, et la ponte.

Pour éliminer la concurrence, elles interdisent aux ouvrières, par le moyen de leurs phéromones, de leur élever des concurrentes. Quand les ouvrières ressentent que la reine a vieilli, n’émet plus assez de phéromones pour les dissuader de bâtir des cellules royales (la nursery des reines), quand dans les faits elle n’est donc plus à la dimension de son rôle, elles élèvent des rivales en sélectionnant quelques larves et en les suralimentant en gelée royale. Quand la relève est prête, les prétendantes se battent, les ouvrières ne gardent que la plus robuste et exécutent les autres. La nouvelle reine va batifoler avec les faux-bourdons du voisinage dans un vol nuptial pour garnir sa spermathèque puis revient au bercail. La vieille reine s’entoure de l’essaim de ses fidèles et s’en va se faire voir ailleurs avant d’être liquidée.

Un parallélisme entre le microcosme des reines et celui des politiciens qui accèdent aux plus hautes fonctions peut-être trouvé. Ceux-ci pondent des réglementations à tire-larigot puisque c’est pour cela qu’ils sont nommés, ils font tout pour éliminer leurs rivaux. Ils jouissent de privilèges grâce au travail des actifs producteurs, et ils sont courtisés par des improductifs qui les distraient et qui ont pour rôle leur insuffler de l’inspiration pour pondre leurs réglementations. 

 

La gelée royale est secrétée par les ouvrières et sert à nourrir les reines, mais aussi à nourrir temporairement les larves. Le miel, nourriture vulgaire ne sert qu’à la nourriture des ouvrières et des faux-bourdons. Ceci dit, les larves ont dans la ruche un rôle indispensable, assurer le renouvellement des générations. Une ruche est vouée uniquement à l’utilité, sans aucune considération métaphysique. Les individus sans production, tels que les faux-bourdons épuisés ou les ouvrières mortes à la tâche sont jetés dehors.

 

L’utilité des faux-bourdons est de féconder les reines. Ils les suivent dans leur vol nuptial. Ils sont également chargés de faire du vent dans la ruche. Quand ils n’ont plus d’utilité, ils sont donc expulsés et abandonnés à leur triste sort d’incapables de se nourrir seuls. Ils sont refoulés s’ils tentent de revenir à la ruche.

Ils sont en quelque sorte à la fois des érotomaniaques et des brasseurs d’air. Pour ce qui est d’un parallélisme du côté de l’espèce humaine, … c’est à voir sur le tas dans l’entourage des dirigeants suprêmes.

 

Les ouvrières font tout le reste et meurent à la tâche. Elles sont de très loin les adultes les plus nombreuses. Elles battent la campagne et récoltent nectar et pollen, puis les transforment en miel, elles fabriquent de la cire et en bâtissent des alvéoles, tant pour y stocker le miel que pour y loger les larves, elles secrètent la gelée royale, elles fabriquent du propolis pour cimenter les interstices, elles montent la garde devant la porte et au voisinage et refoulent les indésirables, elles explorent le canton pour y trouver les gisements de fleurs intéressantes et dansent pour en montrer le chemin à leurs compagnes, … et elles se sacrifient au besoin en piquant les indésirables pour sauver leur collectivité. Quand elles sont devenues hors d’usage, elles périssent d’usure ou de maladie n’importe où, sans la moindre larme de regret dans reste de leur collectivité.

Elles n’ont pas droit à une retraite et ne sont pas syndiquées.

 

Bien sûr, la créativité de l’espèce ne tient qu’à l’évolution darwinienne. Elle est très lente et nécessite des échanges de gènes, utiles ou non, entre la ruche et les ruches avoisinantes. C’est le rôle des faux-bourdons que d’aller faire la cour aux demoiselles reines qui se baladent dans la nature à l’occasion de leur vol nuptial, afin de disséminer des gènes.

 

L’intelligence collective de l’espèce, développée grâce à une vie sociale très structurée et strictement utilitaire, aboutit donc à un monde qui n’est pas sans rappeler celui de l’espèce humaine, quand celui-ci n’est réduit qu’à ses caractéristiques vouées à l’organisation/production/consommation.

 

En restant du côté des espèces animales mais sans structure sociale solide, à l’opposé des abeilles, se trouvent les papillons.

Quand ils  font œuvre collective, c’est uniquement par le fait de leurs larves, les chenilles, qui vivent là où elles sont nées et qui peuvent transformer un beau chou ou un pull de laine en une dentelle informe et inutilisable. Ce n’est pas dans le cadre d’un système coordonné mais dans celui d’un rassemblement fortuit. C’est un peu ce qui se passe chez nous si l’on observe le terrain d’ébats d’une foule de fêtards après leur passage : un champ de détritus. Ce n’est pas cela qui séduit et les foules insouciantes qui ne pensent qu’à s’éclater personnellement ne s’en soucient guère.

 

En résumé, les abeilles sont emblématiques d’un comportement strictement utilitaire avec des individus au service de la collectivité ; il n’y a qu’elle qui compte. La préoccupation individuelle n’a pas de sens.

 

Les papillons le sont des comportements irresponsables à la recherche de jouissances, sans aucune arrière-pensée collective. Ils batifolent de fleur en fleur, se gorgent de nectar, se font la cour et s’accouplent dès qu’ils le peuvent, abandonnent leurs œufs et leur progéniture dans un coin obscur, et font admirer leurs belles couleurs, quand ils en ont ce qui n’est pas toujours le cas. Certains sont mêmes de vraies teignes.

Ils font rêver les insouciants, avant de finir dans le bec d’un oiseau, dans une toile d’araignée, ou dépecés par d’autres insectes.

Chez eux non plus, l’individu n’a pas de raison d’être puisque tous, dans les mêmes circonstances, ont le même comportement automatique.

 

Butiner consciencieusement selon des automatismes strictement utilitaires figés depuis la nuit des temps, ou fleureter au gré du vent, des odeurs et des réflexes de jouissance irresponsable sans se soucier des autres, ce sont finalement les deux pôles extrêmes qui jalonnent une existence animale naturelle. Puis dans tous les cas finir misérablement. Selon le degré de structuration sociale des populations adultes de l’espèce concernée, le curseur se trouve quelque-part entre les deux.

 

Le matérialisme animal peut-il être autre chose qu’un enchaînement de comportements prédéterminés, paramétrés par le hasard des contingences ? Peut-il donner un sens à une vie personnelle ?

 

… à plus …

commentaires

A
La question se pose-t-elle encore?<br /> <br /> Depuis au moins quelques dizaines de milliers d'années, nos comportements ne sont pas "qu'un enchaînement de comportements prédéterminés, paramétrés par le hasard des contingences". <br /> <br /> Notre "matérialisme animal", par l'effet, semble-t-il, de la quantité et de l'agencement nos neurones, nous permet, matériellement, de choisir certains comportements, dont ceux se comparant à ceux de l'abeille ou du papillon, ceux du lion ou de la souris, et de transmettre éventuellement ces choix à d'autres humains. C'est ce qui différencie l'humain des autres animaux terrestres que nous connaissons, qui n'ont pas ce choix.<br /> <br /> Nous sommes, à la rigueur, déterminés à faire, ou non, des choix et à tenir compte, ou non, des choix des autres, que cela ait un sens ou non. A nous de choisir, ou non!
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