Et dans quel sens faut-il l’emprunter pour y arriver ?
Le billet précédent nous laissait au bord du chemin du « progrès » mais sans préciser ce qui fait l’attractivité prétendue de ce fameux progrès de l’espèce humaine.
Il nous mettait en face d’une interrogation : l’avenir de l’espèce humaine est-il à orienter, grâce aux boussoles ou aux GPS des « valeurs » (indicatives du « bien ou mal »), ou à être confié au sort commun des espèces vivantes, à savoir la sélection hasardeuse mise en évidence par Darwin, basée sur les évolutions de l’environnement combinées à la concurrence inter-espèce et intra-espèce ?
S’embarquer sur la l’analyse des valeurs pour essayer de trancher semble une impasse. Leur germination individuelle peut avoir de multiples origines, dont l’endoctrinement à des fins discutables. Leur foisonnement est incontrôlable et relève aussi bien de la réflexion logique que du fétichisme. Leurs contradictions entre individus est ingérable. Est-il bien ou mal de décapiter un congénère ? Même sur une question existentielle aussi cruciale les avis divergent.
Pour trancher, il faudrait faire appel à une Vérité d’ordre supérieur, à une « morale » propre à l’espèce. Ce serait ouvrir la porte à des oppositions dogmatiques irréductibles, à un tohu-bohu généralisé.
Pourtant, ce qui a fait la réussite de l’espèce humaine, c’est cette référence au « bien ou mal ». Elle permet en effet de fédérer les multiples capacités créatives des êtres humains pour générer une créativité collective sans limites apparentes.
C’est aussi elle qui génère le doute métaphysique et qui perturbe les réflexions fondamentales.
Pour certains, « l’arbre de la science du bien ou du mal », par son fruit, est la cause de l’expulsion de l’être humain de l’Eden primitif ou ne régnait que l’insouciance animale, celle qui ne se confronte pas à une recherche du sens de la vie. Certes, cette image procède d’une référence religieuse, mais son message est universel si l’on veut bien l’examiner indépendamment de tout dogmatisme.
Pourtant il nous faut trancher. Les circonstances nous y obligent. L’humanité est engagée dans une impasse et s’y engouffre en accélérant.
La Terre est une planète, tout le monde le sait. Ses ressources sont limitées. Ce sont elles qui permettent la consommation humaine. Mais à la fois :
- la population humaine augmente continument,
- les ressources terrestres sont de plus en plus entamées,
- les équilibres environnementaux sont désorganisés par l’activité humaine,
- les consommations par individu augmentent en diversité et pour certaines en quantité,
- donc les destructions de ressources non renouvelables ont tendance à s’accélérer,
- les promiscuités encombrantes et la concurrence vitale accroissent les causes de fractures entre les peuples et au sein des peuples, et donc les risques de conflits meurtriers,
- les moyens de destruction massive ont fait des progrès énormes et peuvent sur un coup de folie empoisonner toute la planète,
- les moyens médiatiques se perfectionnent, touchent de plus en plus de publics, et sont en très grande partie dédiés à la promotion de la consommation dans toutes les directions à la fois, directement ou indirectement.
Le choix d’un sens pour la vie humaine devient de plus en plus inévitable.
Nous connaissons tous l’obsédante présence de la référence bipolaire « bien ou mal » mais il est possible de l’ignorer volontairement. Pour certain ce rejet est devenu un réflexe entretenu avec persévérance. Il est pour eux un repli vers l’insouciance animale irresponsable primitive, mais avec en contrepartie le retour vers la sélection darwinienne originelle. Le choix factuel entre l’animalité métaphysique, résultant d’une telle oblitération de toute valeur dérangeante, et la prise en considération respectueuse de la condition humaine est donc déjà inscrit dans les réalités. A quoi pourrait nous mener un tel repli s’il se généralisait ?
Plutôt que de développer des raisonnements fatalement fastidieux, mieux vaut prendre des illustrations, faciles à interpréter comme sont les fables animalières.
Si l’on veut choisir un exemple d’ « animalité » savamment organisée en classes de populations et d’activités, le monde des abeilles est beaucoup plus comparable à notre système socioéconomique que celui de toute autre espèce d’animaux sociaux. Il y a peut-être aussi le cas des termites mais il est moins connu.
Certains ethnologues ont fait le rapprochement entre l’espèce humaine et les primates qui vivent de façon clanique, tels que les chimpanzés, les macaques ou autres babouins. Ils ont mis en évidence que d’importants réflexes comportementaux chez les humains sont identiques aux leurs. Notre espèce véhicule encore dans son ADN les dispositions innées des primates chasseurs-cueilleurs-sociaux adaptés au schéma darwinien. Notre problème est que notre ingéniosité collective a imposé des structures sociales beaucoup plus sophistiquées, mais qui sont indispensables à notre économie de subsistance collective infiniment plus complexe. Ce n'est plus une prédation collective inorganisée, de ressources locales en vue d’une consommation immédiate. La pomme d’Eve et Adam nous est tombée sur la tête.
La vie des abeilles est beaucoup plus structurée que celle des quadrupèdes supérieurs. Elles n’ont pas un encéphale leur permettant, je pense, de développer des considérations métaphysiques basées sur le binôme « bien ou mal ». Ceci nous offre la possibilité de contempler un fonctionnement purement animal et cependant très intelligemment organisé.
Nous y reviendrons.
En face de l’animalité matérialiste, certains brandissent comme un trophée (dont ils s’attribuent le mérite) la réalité humaine actuelle en la qualifiant de « progrès ». Si l’on se réfère aux avis de la majorité des humains, basés sur leur éventail individuel de valeurs intimes et les satisfactions qu’ils tirent de leur existence, il se dégage un accord global. Certaines évolutions vont vers le « bien », d’autres dérivent vers le « mal », mais il subsiste un très important reliquat pour lequel il n’y a pas de majorité car le ressenti du bien ou mal dépend fortement d’intérêts très individuels. Ceux-ci sont généralement en opposition entre individus.
De fait, nous ne pouvons pas faire un rapprochement entre le sens de la vie et un mythique progrès sans passer par des débats très approfondis, et régulièrement réactualisés, portant sur des « principes universels », sur leur respect et sur leurs conséquences.
Nous y regarderons aussi.
Pour revenir au dilemme initial, faut-il aller vers une animalité darwinienne très structurée,
… ou vers un « progrès » bien maîtrisé, vers une résonnance harmonieuse entre créativité individuelle et créativité collective orchestrée par une vision « bien ou mal », reposant sur des principes respectés universellement mais qu’il reste à débattre sur le fond et à imposer collectivement ? Peut-on compter sur une « intelligence collective » émergeant progressivement de l’omniprésence de la religion consumériste, matérialiste et aveuglée par les intérêts individuels ?
… à plus …