Un monde à part
Dans son blog, Olivier Berruyer publie un billet consacré aux étroites connexions, en France tout au moins, entre les dirigeants financiers et les dirigeants politiques : www.les-crises.fr/lobby-banques/
Il montre que tout ce petit monde est issu de la même sous-espèce de l’espèce humaine, l’homo sapiens thésaurus-politicus-maximus. Hou le vilain raciste ! ( racisme )
Quels sont leurs caractères distinctifs ?
C’est simple : ils sont issus des mêmes filières de sélection, Sciences Po, HEC ou Polytechnique plus l’ENA, et ont souvent transité par l’Inspection des Finances.
Cette filière a tout d’un ascenseur obligé vers les plus hauts pouvoirs. Ceux qui essayent de grimper étage par étage en prenant l’escalier, qui commence en bas par une démonstration d’efficacité économique, trouvent en haut la porte close. Ces hauts dirigeants, ayant une haute idée d’eux-mêmes puisqu’ils sont en haut, ne peuvent concevoir que des individus puissent accéder au rang d’individu alpha sans être passés par les mêmes épreuves qu’eux. Pour cette élite, faire ses preuves dans la réalité socioéconomique est trop trivial. Il faut quelque chose de plus noble pour être accueilli par eux comme un semblable. Ils forment un club fermé qui choisit très soigneusement ses nouveaux membres pour qu’ils ne détonnent pas par des caractéristiques trop excentriques, et pour qu’ils jouent le jeu commun dans les règles définies par eux. Ce sont des bonnes règles puisqu’elles leur ont permis d’être là où ils sont. Ils peuvent le faire puisqu’ils cumulent entre eux tous les pouvoirs (et se répartissent les petits à côté patrimoniaux qui vont bien avec).
Ils sont à leur aise dans leur bulle, entre homologues.
Ils sont donc passés par une filière diplômante bien précise et en sont sortis avec les honneurs, et même parmi les premiers s’ils ont été accueillis à l’Inspection des Finance. Dès leur jeune âge, s’ils se sont dirigés vers l’ascenseur en dépit des aspects peu ludiques du chemin, c’est que pour eux les métiers bassement attachés à fournir des produits ou services à leurs concitoyens ne présentaient aucun intérêt. Leur boussole était d’argent et donnait la direction de la gloire. Les citoyens ordinaires ne valent maintenant pour eux que comme marchepieds qu’il vaut mieux ne pas trop malmener pour qu’ils restent dociles.
Mais ne pensez pas qu’il suffit d’être narcissique pour arriver là où ils sont. Le narcissisme, cela se cultive facilement et reste très répandu. L’aisance conceptuelle requise pour eux est beaucoup plus rare.
Pour réussir il leur a fallu passer par des examens de plus en plus exigeants et dont les épreuves supérieures ont été sélectionnées par leurs anciens, donc dans le respect des traditions, en particulier dans les domaines économiques. Or c’est là qu’on attend d’eux le plus d’intelligence comportementale en cas de crise.
Sur la base de considérations historiques, ils ont donc été abreuvés à deux sources, le libéralisme et le keynésianisme, réunies autour de formules mathématico-statistiques pour devenir néoclassiques. Ils ont dû faire la preuve de leur allégeance à ces doctrines pour être reçus. Ils se sont ensuite trouvés plongés dans un microcosme où les participants, sous prétexte de débattre d’économie, ne font que discuter des dosages de ces deux théories à appliquer dans les remèdes qu’ils font avaler à l’économie nationale. Quand cela va mal, ils se mettent d’accord, après de nombreuses discussions internes au club, pour pousser un peu plus d’un côté ou un peu plus de l’autre.
Pourquoi leur débat économique est-il circonscrit à cela ?
D’abord, comme tout un chacun, ils ont un tropisme de droite ou de gauche.
S’ils inclinent à droite, ils sont sensibles au côté « production » de l’économie. Ils chérissent les entrepreneurs et veulent les encourager. Ils sont séduits par le libéralisme pour laisser les coudées franches à leurs protégés, même si les rapports de force des marchés conduisent à des situations humaines parfois inhumaines.
S’ils penchent à gauche, ils vibrent à l’idée de « distribution ». Le keynésianisme a tout pour les séduire puisqu’il prétend qu’il suffit de mettre des liquidités au bon endroit pour que tout fonctionne à merveille. Or, rien n’est plus simple que de créer des liquidités par l’émission monétaire ou le crédit. Pour éviter l’inflation, il suffit d’intéresser les spécialistes qu’ils dirigent à créer des montagnes de sous-jacents valorisés comme il le faut.
Le club compte sur ce débat droite-gauche pour avoir la vision binoculaire nécessaire pour apprécier les distances entre problèmes et solutions, pour gérer production et distribution. Il s’attache donc à garder un équilibre entre les deux. C’est facile de maintenir un consensus entre les membres car en cumulant les deux visions, ils entretiennent une croissance continue du volume de la circulation des liquidités entre n’importe quels comptes bancaires, y compris les leurs. Ils ont tout intérêt à ce que la tradition soit maintenue.
Comme les métiers triviaux et les préoccupations triviales qui les accompagnent ne mobilisent pas beaucoup leur curiosité, l’économie réelle est pour eux une terre plutôt inconnue. Ils n’en connaissent que leur tradition familiale acquise précocement. Leur cursus de formation et leur survol en escadrille de l’économie ne leur permet pas de la ressentir de manière viscérale. Ce qu’ils en connaissent relève plutôt de la culture littéraire qui leur est demandée pour réussir leurs examens. Isolés dans leur bulle ils ne connaissent les évolutions extérieures que par ce que leur rapporte leur entourage, de gauche ou de droite selon leur œil directeur. Ils préfèrent aborder l’économie en consultant les statistiques, prétendument objectives, mais basées sur des coefficients de change dont ils contrôlent les critères d’établissement de manière à trouver dans les résultats chiffrés la justification de leurs prises de position.
Maintenant, leur bulle navigue tellement loin des réalités que leurs décisions sont systématiquement inefficaces, quand elles ne sont pas nuisibles. Cela ne nuit nullement à leur train de vie ni à leur haute opinion d’eux-mêmes, mais ils commencent à s’inquiéter. Les bulles des dirigeants des autres pays, poussées par d’autres courants ou alourdies par des ancrages plus au ras des pissenlits (c’est plus nourrissant que les pâquerettes même si c’est moins poétique) partent un peu dans tous les sens. Leur club ne serait-il pas aussi en train de se ringardiser ? Ils commencent vaguement à se demander où trouver un coach. Ils relisent Keynes ou Hayek dans le texte en édition originale pour chercher à quel niveau faire repartir leurs théories.
Et si la solution était ailleurs ?
Se tromperaient-ils alors depuis dix, vingt, trente ans, ou plus pour certains ? C’est pour eux impensable. Ils ne peuvent pas faire machine arrière car ils n’ont pas de « plan B » individuel, ils sont formatés de manière définitive par leur milieu. Et puis cela reviendrait à reconnaître que leur bulle ne contient pas grand-chose de récupérable.
à plus …