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18 juillet 2015 6 18 /07 /juillet /2015 17:48
C’est quoi ce jeu ? Un jeu pas drôle

Un jeu perdant-perdant-perdant  

 

Les négociations liées au « grexit » sont particulièrement intéressantes pour un observateur prenant un peu de recul, elles sont riches en péripéties inédites.

Au départ, elles ont mis en vedette un spécialiste de la théorie des jeux que j’ai déjà plusieurs fois évoqué, Yanis Varoufakis. Deux « coups » ont suivi, étonnants dans le contexte où ils se sont déroulés, le « coup du référendum » et le « coup de la démission ». Il apparaît, à tort ou a raison, comme un joueur emblématique.

Cela devenait très tentant pour un amateur de constats paradoxaux de positionner la partie par rapport à cette fameuse théorie des jeux, donc avec une vision différente de celle de Machiavel, celle qui inspire généralement les commentaires sur les réflexions politiques. 

 

Il y a quelques années, mon attention avait été attirée par un autre mathématicien-économiste-théoricien des jeux, à savoir Gaël Giraud. Un peu surpris du rapprochement entre le « jeu » (avec son a priori ludique) et « l’économie » (et son aura de sérieux et de crucial), j’avais alors essayé d’y voir un peu plus clair.

L’impression sur laquelle j’étais resté est que la théorie des jeux consiste à décomposer  une situation, dont on présuppose que toutes les données sont connues, en des arborescences de considérations binaires. Ensuite on explore toutes les branches de ces arborescences, on compare les résultats prévisibles de chacun des parcours. Il ne reste plus qu'à choisir le meilleur (ou le moins mauvais), encore une situation binaire, à un contre tous les autres.

A priori dans la partie, toute recherche pour « sortir de l'épure » est exclue. Il pourrait pourtant y en avoir, comme par exemple l'évasion du prisonnier dans le cas du « dilemme du prisonnier », un cas illustratif bien connu de la dite théorie. Dans un univers aussi complexe que le notre, qui peut prétendre que toutes les données sont sur la table,  qu'il n'y a rien au-dessous ? 

Sur ces bases, j’avais écrit en février un billet pour noter que les contingences dont la gouvernance grecque avait à tenir compte étaient farcies de situations ternaires et donc que se réfugier dans des positions binaires n’était probablement pas le moyen de s’en sortir au mieux, ou tout au moins au moindre mal.

 

Il faut cependant noter que, comme les joueurs de la théorie des jeux, l’être humain est pétri de logique binaire. Nous raisonnons dans un environnement manichéen : bien/mal, haut/bas, chaud/froid, agréable/désagréable, ami/ennemi, gauche/droite, favorable/défavorable, riche/pauvre, etc.

Quand les raisonnements sont passés à la moulinette mathématique (a fortiori informatique), où tout est composable et décomposable à partir du 0 et du 1, cela nous épate et tout nous apparaît comme une Vérité indubitable.

 

Le « jeu grec », comme maintenant tous les jeux qui se déroulent en économie politique internationale, n’est pas binaire, il repose sur un trépied incontournable et, ici, nous n’irons pas regarder plus loin. Comme pour les tabourets, si l’un des pieds ne tient pas, c’est la chute. Ces pieds du raisonnement politico-économique sont « le peuple », « la finance », « la gouvernance politique ». Ces trois pieds sont liés car les deux derniers sans le premier ne peuvent exister, et ce premier a besoin des deux autres pour pouvoir subsister dans le système socioéconomique complexe dont il ne peut plus se passer sans retourner au néolithique.

De plus, ce qui ne simplifie rien, d’autres données mijotent sous la table de jeu et pourront débouler à tout moment. Nous pouvons facilement en repérer certaines qui viendront probablement bientôt brouiller les cartes méticuleusement alignées.

 

Le positionnement politique est abonné au binaire. Il y a le pour et le contre à l’égard des partenaires/rivaux du moment. Il y a aussi la droite et la gauche.

Pour préciser mieux le deuxième point, regardons ce qui se passe dans le monde politique français abonné à la trinité Liberté-Egalité-Fraternité. Comme il a été vu dans le billet précédent, toute la gouvernance politique a été empaquetée dans « la réglementation » et celle-ci ne tient compte que des deux premiers termes. Le troisième, la Fraternité, est abandonné aux rêveurs. La droite met en économie l’accent sur la Liberté en lâchant la bride à la loi du marché, autrement dit au droit du plus fort économiquement : tous les moyens de gagner des richesses petites ou grandes sont bons tant qu’ils ne sont pas illégaux. La gauche regarde l’Egalité et porte l’égalitarisme au pinacle. Elle rêve peut-être d’un monde de clones interchangeables dominés par une oligarchie autoreproductrice : les spectateurs/citoyens d’un côté (avec comme seul choix celui d’applaudir ou de bouder), les politiciens professionnels sur le ring dans des combats (où tous les coups sont permis) pour recueillir des lauriers bien dorés.

Quand il s’agit de jouer un coup, de se positionner en face de la proposition d’un autre joueur, la décision du joueur politique, à savoir être avec ou être contre, repose sur une alternative binaire : la proposition sur la table relève-t-elle de la droite ou de la gauche, est-elle libérale ou égalitaire ?

 

Le positionnement financier est également binaire dans le choix du pour ou contre. Il ne comprend que la logique comptable (en partie double). Il ne reconnaît que le débit et le crédit donc il est aveugle à tout ce qui ne peut pas être associé à un montant de liquidités d’un côté ou de l’autre. Sa ligne d’horizon est le risque comptable et sa prise de position par rapport à une proposition se limite à un autre type d’alternative : est-on devant un cas où la rentabilité et la solvabilité sont assurées, ou devant un cas de défaut prévisible ?

 

Quant au Peuple, le pied fondamental du tripode, il se positionne lui aussi de manière binaire qui résulte de son ressenti majoritaire. Il se sent « suffisamment bien » ou « opprimé par la rigueur », sans autre critère que la vision personnelle que chacun peut avoir des réalités qui le touchent de près, vision souvent manipulée par des flux médiatiques au service des autres protagonistes.

 

Certains vont penser que la théorie des jeux est tout à fait utilisable puisque chaque partie raisonne de façon binaire. Ce serait trop simple !

 

Les trois parties ont une vision binaire des situations, certes et c’est humain, mais elles ne voient pas la même chose. Le politique est dans l’opposition droite-gauche. Le financier est dans les statistiques débit-crédit. Le peuple est devant son assiette (au sens large), est-elle suffisamment garnie ou non.

En cas de proposition émanant d’un joueur, les réactions des autres, ceux qui appartiennent aux deux autres catégories, ne répondent pour lui à aucune logique intelligente. Ils ne sont pas câblés de la même façon. Quand les trois sont en lice, ils n’entretiennent que des « trialogues » de sourds.

 

Pour en sortir, les négociations cruciales sont imparties aux acteurs politiques du fait de leur statut. Ensuite, ils gèrent les conséquences des accords à coup de réglementations.

Ils ont constaté expérimentalement qu’ils ne pouvaient généralement pas faire fi des avertissements des acteurs financiers. Sinon c’est le capotage assuré car les richesses ne surgissent pas par obligation légale alors que par ce moyen elles peuvent très facilement être détruites. Ceux-ci sont donc en coulisse, et même parfois en cas d’urgence à la table des négociations. Ils sont vus comme des empêcheurs de s’expliquer en rond, mais les exclure serait suicidaire pour raison de désastres économique.

Le peuple est parqué devant la télévision. Tout ce que l’on tolère pour lui est qu’il fasse connaître « ses envies ». Comme elles sont habituellement assez incohérentes, les acteurs politiques peuvent y picorer et généralement prétendre après coup que, si certaines ont été passées aux oubliettes c’est « la faute des autres » (rivaux politiques et acteurs financiers), mais que d’autres bien plus cruciales vont être satisfaites grâce à eux.

 

La partie « Grèce-in / Grèce-out » s’est déroulée d’une manière complètement inédite. Certes la Politique et la Finance étaient à la table des négociations mais les politiques grecs ont aussi donné la parole à leur Peuple. Ces néophytes ne connaissaient pas les usages.

Le débat avait pour objectif occulté de savoir quels Peuples devaient payer les pots cassés par des errements politiques depuis des années, en l’occurrence les pots grecs. Il a été détourné par les politiques qui l’ont aiguillé vers une alternative de rupture ou non de l’Europe avec la Grèce (une logique binaire simpliste adaptée à la compréhension politique). Cela évitait d’exposer sur la table des réalités peu gratifiantes quant aux comportements politiques traditionnels, en Grèce mais pas seulement. Le Peuple grec a fait savoir avec clarté qu’il ne voulait pas quitter l’Europe économique et qu’il ne pouvait pas payer ses pots cassés. Ses protestations ont suscité des échos chez les autres Peuples et les acteurs politiques ont été conduits à une fuite en avant, un accord de surface qui ne résout rien sur le fond et qui ne fait que différer la réflexion sur tous les problèmes posés par les comportements des dirigeants des pays de l’Eurolande, les plus importants comme les autres.  

 

Les jeux se déroulent souvent (toujours la logique binaire), avec une perspective proclamée de résultat gagnant-gagnant. Après coup, il peuvent aussi se révéler gagnant-perdant ou perdant-perdant. Là, tout le monde est perdant, la Politique, la Finance et les Peuples. C’est du « perdant-perdant-perdant » et tout le monde le sait, même avant de percevoir les premiers effets de l’escamotage des réalités.

Tout le monde sait aussi que, sous la table, d’autres réalités sont installées et qu’elles ne vont pas tarder à aggraver encore la situation des Peuples européens : les problèmes environnementaux, la crise économique mondiale, le terrorisme et le fanatisme religieux, la crise de la civilisation occidentale qui joue une récidive de l’effondrement de l’Empire romain avec son fameux « panem et circenses », l’émergence dans la douleur du continent africain, etc.

Pendant ce temps, les Politiques, surtout les nôtres, se rengorgent, plastronnent, et n’envisagent pas un seul instant de changer un iota de leurs comportements.

 

 

… à plus …

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