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13 août 2015 4 13 /08 /août /2015 08:19
Civisme et citoyenneté

 Civisme mon cul, aurait pu dire la Zazie de Raymond Queneau

 

Dans son roman, « Zazie dans le métro », Raymond Queneau a décrit les aventures dans Paris d’une gamine provinciale délurée, à la recherche de ce qui ne restera finalement pour elle qu’un concept fantasmé, faute d’une concrétisation pratique pour raison de grève : le métro parisien.

A l’époque, ce qui a surtout retenu l’attention des commentateurs, c’était l’esprit de répartie de l’héroïne, qui manifestait par une brève allusion à son postérieur la crédulité qu’elle portait aux allégations de son interlocuteur du moment.

 

Venons-en au civisme. Pour le Larousse de poche, il est le « dévouement à l’intérêt public ». Pour le citoyen ordinaire, si on l’interroge et qu’il réponde, il est le comportement des « autres » quand ils respectent ses convictions sociétales (et ses intérêts si possible), dans le cadre d’une réglementation tous azimuts s’appliquant à tous. Ce comportement civique est pour lui tellement trivial qu’il ne le remarque même pas. Le citoyen ordinaire n’est conscient que des incivilités des autres.

 

Puisque le civisme se réfère à des convictions fédératrices qui méritent le respect de tout un chacun, il ne peut exister que par référence à un panel de « valeurs communes », des valeurs sociétales bien sûr.

Attention, terrain miné ! Nous allons forcément tangenter des sujets délicats tels que la morale, les religions, les comparatifs de civilisations, le sens de la vie, etc. Alors pour ne pas risquer des manifestations éruptives, contentons nous de noter que l’identification d’un panel de valeurs suffisamment complet et précis pour servir de guide à la réflexion ne peut s’envisager qu’à l’intérieur d’un groupe relativement homogène quant à sa façon de voir les choses. Déjà vouloir le faire au niveau d’un peuple, d’une nation, est très ambitieux. Il y a quelques mois, le phénomène « Charlie » qui nous a secoués a provoqué des controverses ahurissantes sur les comportements civiques à adopter, alors que les données de départ étaient d’une simplicité limpide.

Le président Sarkozy au début de son mandat avait évoqué « les valeurs de la France », avec sa fougue (sa précipitation ?) habituelle, quelquefois bien inspirée mais rapidement expirée. Il a dû piteusement battre en retraite.

 

Comment pourrait-on donner du contenu au civisme, sans même aller jusqu’au dévouement comme le fait le dictionnaire susnommé, simplement en se contentant de la prise en compte minimaliste d’un intérêt public qu’il resterait à préciser ? Si chacun le voit de la manière qui l’arrange personnellement, nous pouvons facilement imaginer les cacophonies résultantes.

Et pourtant, la prise en compte de l’intérêt public est absolument primordiale. Les intérêts privés sont du domaine de chacun, mais l’intérêt public est l’affaire de tous et il faut bien que tous se coordonnent suffisamment pour arriver à un équilibre acceptable entre individus.

 

Les pouvoirs publics, c’est leur rôle, se chargent de réglementer. Chez nous dans ce domaine ils font du zèle. Ils ont industrialisé le foisonnement détaillé des réglementations et en conséquence la répartition  méticuleusement particularisée des droits et des devoirs du citoyen. Il suffit donc en France de consulter les centaines de milliers de pages des réglementations publiées par le Journal Officiel pour respecter ce civisme institutionnalisé. Si nos édiles réglementent autant, j’ose espérer que c’est pour bien asseoir l’intérêt public, pour bien caler son séant, et non pas pour installer sur un trône l’intérêt particulier des membres du microcosme politique.

Alors, la citoyenneté, autrement dit la mise en pratique scrupuleuse des droits et devoirs du citoyen, ciselés minutieusement par voie réglementaire, est-ce cela qui installe le civisme ordinaire, qui lui donne du contenu ?

 

Voyons un peu. La France est un cas particulier. Etant donné que le civisme est une attitude souhaitée dans tous les pays, recherchons déjà, s’il en existe, des principes généraux permettant de le cultiver sans pour autant passer par les rotatives surchauffées de notre Imprimerie Nationale.

 

Comme il est écrit plus haut, le civisme requiert des valeurs communes et donc une homogénéité suffisante de la société concernée, évidemment une homogénéité dans les façons de voir les choses et dans les pratiques de gestion des activités qu’elles impliquent. Déjà au niveau d’un pays comme le notre, c’est apparemment problématique : de l’avis général, les incivilités mineures ou majeures courent les rues. Et alors, pour tous les autres ?

Partout, tout le monde se plaint, à commencer par les dirigeants. Manifestement, une gestion réputée citoyenne, basée sur les réglementations, n’est semble-t-il nulle part à la hauteur des besoins ressentis à son égard.

Mais l’a-t-elle déjà été, ne serait-ce que chez nous ? Les incivilités sont pour tous le critère de jugement (voir le début de l’article), alors augmenteraient-elles ? Au lecteur d’en juger. Une enquête publique serait intéressante.

Etant donné que le mimétisme est l’instigateur essentiel des comportements, si c’est le cas, si les incivilités vont croissant, nous sommes en manque de modèles. Comme l’exemple vient de haut, selon l’adage, nous serions en manque de dirigeants modèles et de célébrités exemplaires sur le plan du civisme. Or en tant que dévouement aux intérêts publics, il met au second plan les intérêts particuliers. Si ce n’était pas le comportement des dirigeants publics, ce serait très inquiétant : ils feraient la part belle aux conflits d’intérêts et aux gratifications nombrilistes, ce que je n’ose imaginer !

 

Confrontés à une incapacité manifeste de développer par la citoyenneté nationale un civisme satisfaisant à l’intérieur du périmètre limité aux frontières du pays, certains fantasment sur une « citoyenneté du Monde ». Puisque c’est impossible de trouver une homogénéité suffisante pour bien réglementer et en conséquence balayer convenablement un « taudis » national (vu par leur esprit critique), il faudrait alors multiplier par cent la surface du plancher à nettoyer et accroître considérablement la variété des incivilités à expurger. Il y a là une logique qui m’échappe …

 

Chez nous, les psys expliquent que les incivilités sont l’expression d’un « mal-être » chez leurs auteurs, généralement engendré par des problèmes d’intégration. Aïe ! La question des valeurs communes risque de revenir sur le tapis.

Pour ne pas heurter la bienpensance en vigueur en abordant cette question, il vaut mieux, selon les prétendus experts bien en cour, n’envisager pour traiter ce mal-être que la mise en pratique de thématiques faciles à respecter, telles que l’ignorance (innocente ou volontaire) des règles que l’on n’enseigne pas dans les environnements familiaux à la dérive, le délassement ludique par n’importe quel moyen si l’on s’ennuie, l’attirance pour le bling-bling, le n’importe-quoi sexuel, les paradis artificiels, etc., afin d’en extraire un ciment d’intégration. Allez donc savoir si le mal-être diminue, si le civisme en sort renforcé …, et en ce cas, où placer la réglementation dans tout ça …, circulez, y-a rien à voir !

Quant à proposer la citoyenneté comme succédané au civisme, ce serait carrément du comique involontaire !

 

En l’absence d’un panel de valeurs communes bien complet et démocratiquement débattues pour servir d’inspirateur aux règlements, la citoyenneté n’est qu’un déguisement pour essayer de faire passer un fatras pseudo-organisationnel amoncelé au fil du temps afin de répondre avec retard et incohérence aux incivilités ressenties. Celles-ci mutent continuellement en fonction des évolutions du système socioéconomique et en particulier de sa composante démographique. La réglementation suit laborieusement et à contretemps. Elle tire dans le zig alors que la cible est déjà passée dans le zag.

 

L’enseignement qui se dégage de ces considérations à la marge est que le « civisme » n’est qu’un mot creux dédié à la langue de bois, un « mot-valise » commode pour sembler s’occuper d’un sujet, et où chacun peut imaginer ce qu’il contient.

De toutes les façons, chacun à tendance à s’assoir sur le sien, sans le regarder. Son propre civisme n’est pas visible par celui qui le porte. Ce sont plutôt les autres qui l’apprécient, ou non, selon les incivilités perçues. Ils le regardent plus ou moins selon la manière dont il ondule et dont les médias l’exposent.

Il est, pour tous individuellement, un concept concrètement insaisissable. Puisque la vérité sort de la bouche des enfants, je suis tenté de laisser la parole à Zazie pour répondre aux doctes qui en parlent trop dévotement, quitte à passer pour incivique auprès de ceux qui s’enfuient dès qu’il est question de valeurs communes. Cette fuite de ceux qui n’envisagent pas de reconnaître l’existence de valeurs respectables pour tous, et de les respecter eux-mêmes, est compréhensible : sinon, ils se montreraient alors sous leur vrai jour, des faux-culs…jetons.

 

… à plus …

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