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30 septembre 2015 3 30 /09 /septembre /2015 10:24
Le gouvernement du Chat Botté

  Brainstorming au château  

 

A la mort de son beau-père, le marquis de Carabas hérita de la couronne et, naturellement, il confia le gouvernement à son inséparable Chat Botté, son double conceptuel et opérationnel.

 

Peu de temps après, toute une foule se retrouva devant le château, se lamentant et brandissant des pancartes « DES SOUS ! », ou « ON VEUT DES SOUS ! ». Le monarque appela son bras droit et l’interrogea sur la raison de cette manifestation. Il apprit ainsi que les habitants du bourg de Saint-Crépin, qui fabriquaient des chaussures pour tout le royaume, et ceux de Saint-Frusquin, qui confectionnaient les vêtements, ne trouvaient plus de clients pour leurs productions car les sujets du royaume achetaient et n’utilisaient plus guère (à cause du réchauffement climatique) que des tongs et des tee-shirts fabriqués à Saint-Gapour, un bourg étranger, tout à l’autre bout du continent. 

Les producteurs qui manifestaient n’avaient plus assez de sous pour vivre comme avant, et ils ne savaient pas produire à des prix concurrentiels ces produits nouveaux.

 

Comme les manifestations perturbaient le sommeil, les festins, les bals et les distractions des habitants du château, le Roi et son fidèle second se concertèrent sur les actions à engager.

D’abord, pour calmer la foule, le Roi emprunta des sous à ses homologues voisins et les distribua aux manifestants. Et puis, il leur fit un beau discours depuis son balcon, leur promettant d’inverser pour la Saint-Glinglin la courbe tendancielle du contenu de leur bourse.

Le Chat Botté lui ayant fait remarquer que, pour rester en bon termes avec ses voisins, il faudra les rembourser en temps utile, donc prélever des impôts supplémentaires pour couvrir à la fois le principal des emprunts et les intérêts, donc mécontenter encore plus ses sujets, il devint pensif. En compagnie de quelques gourous, ils firent alors du brainstorming.

 

Après de profondes cogitations, ils décidèrent de quelques mesures de diversion mais aussi de regarder le fond du problème. Le Chat Botté fut naturellement chargé du tout et d’éclairer la lanterne du Roi. Il avait déjà fait la preuve de son savoir-faire en avalant l’ogre, il devait bien être à même d’anéantir la crise : il était sûrement capable de piloter un gouvernement efficace.

 

De leur côté, ayant reçu des sous, les plaignants s’en retournèrent chez eux et achetèrent des smart-phones, fabriqués à Saint-François (San-Francisco dans le dialecte local), un bourg étranger situé au-delà de l’océan, afin de faire des selfies pour garder un souvenir de leur sourire momentané qu’ils craignaient de perdre rapidement.

Effectivement, peu de temps après, ils se retrouvèrent tous devant le château à manifester pour les mêmes raisons.

 

Pendant ce temps, considérant que savoir économiser, et faire des réserves plutôt que tout dépenser, était une façon d’avoir des sous à disposition, le Chat Botté avait choisi un jeune écureuil, très remuant, pour donner des conseils budgétaires aux producteurs. Celui-ci, immédiatement, leur conseilla de travailler plus pour le même prix, afin de faire baisser le coût de leurs productions. Les rentiers applaudirent mais les producteurs firent grise mine et décidèrent de n’en rien faire. D’ailleurs, ils n’avaient plus rien à faire puisqu’ils n’avaient plus de clients.

 

Conscient aussi de l’importance du mental dans toutes les activités et dans tout redressement, le Chat Botté choisit aussi deux ministres pour faire évoluer les états d’esprit chagrins. Pour des raisons de parité entre les emplumé(e)s et les empoilé(e)s, il sélectionna deux perruches en fonction de leur capacité supposée de conviction médiatique. Leur babil aux sonorités un peu exotiques devait attirer l’attention, plus que des jacasseries, des caquets ou des roucoulades. A la première, il confia l’éducation des jeunes et à la seconde la culture des adultes.

Il sélectionna par ailleurs toute une armada d’autres ministres des deux genres, mais la plupart ne proposèrent rien qui soit susceptible de juguler cette crise qui frappait les sujets besogneux. Comme ils ne se manifestèrent guère par des réussites, oublions-les charitablement.

 

En conseil des ministres, le gouvernement au complet découvrit que les plaignants venaient de Saint-Frusquin et de Saint-Crépin, et que les difficultés provenaient de  Saint-Glinglin, de Saint-Gapour et de Saint-François. Les ministres en déduisirent logiquement que les problèmes économiques venaient du mot « Saint », qu’il était malsain, et qu’il fallait donc l’expurger partout de la vie courante pour redresser la situation. Les athées, très majoritaires au château, applaudirent avec enthousiasme.

Le chef du gouvernement proposa donc à la signature du Roi un édit qui interdisait l’usage de tout vocable dangereusement religieux, aussi bien dans la dénomination des bourgades du pays que dans tous les écrits ou discours engageant d’une manière ou d’une autre la responsabilité nationale.

 

Pour montrer qu’elle avait bien perçu le message, la ministre de l’éducation décida d’une grande réforme dans toutes les écoles. Il fallait supprimer le mot « saint » dans tous les manuels, et dans tous ou toutes les cours. Pour faire bonne mesure et ne pas risquer de confusion compte tenu du faible niveau des élèves en orthographe, il fallait aussi supprimer les mots « sain », « sein », « ceint » et « cinq ». En foi de quoi, à partir de la rentrée, les enseignants devront systématiquement substituer aux trois premiers les termes de « en bonne santé », « mamelle » et « entouré ». Quant au « cinq », il devra être écrit « cinque », et être prononcé « cinqueu » en toute circonstance.

Pour les experts du ministère, il ne fallait pas que les maîtres et maîtresses en fassent plus. Il était exclus qu’ils demandassent des choses impossibles à comprendre et à expliquer à ces chérubins d’écoliers qui préféraient pianoter sur des écrans tactiles qu’apprendre laborieusement des leçons : c’était plus épanouissant de jouer ensemble que d’introduire une distanciation mentale à relents racistes entre djeunes et anciens, entre incultes et bien formatés intellectuellement, donc entre apprenants et enseignants.

 

La ministre de la culture n’était pas très douée en orthographe. De son propre aveu, elle ne lisait jamais (et pour cause). Pour elle, la culture c’était être à l’écoute des courtisans qui faisaient le plus parler d’eux par leurs excentricités.

Pour bien asseoir son rôle, elle décida cependant d’ouvrir un dictionnaire. Elle arriva à déchiffrer les trois premières lettres du mot « culture » mais n’alla pas plus loin. Elle se trouva confortée dans son interprétation en consultant les artistes à la mode et les originaux les plus exhibitionnistes. Quand elle leur parla de « saint », sans l’orthographier, ces obsédés sexuels comprirent « sein » et lui expliquèrent que c’était une façon trop anodine de regarder les choses, que c’était bon pour les bébés mais que, pour les adolescents et les adultes, il fallait aller plus loin dans l’exploration des pensées profondes : il fallait aller au plus intime, et de façon grandiose pour marquer les esprits.

Alors elle encouragea l’exhibition de symboles sexuels, suggestifs et à très grande échelle, dans les parcs et sur les places de la capitale.

 

A l’heure qu’il est, les actions de redressement par le Chat Botté n’ont pas encore vraiment fait la preuve de leur efficacité et sont regardées avec inquiétude par les pays voisins. Mais elles pourraient faire sourire certains lecteurs de contes à dormir debout, … s’ils sont suffisamment masochistes. Alors autant les narrer, ce sera toujours ça de gagné. Le sort des habitants de Frusquin et de Crépin est toujours aussi incertain mais ils vivent dans un paradis aux yeux des victimes potentielles de certains ogres qui sévissent ailleurs que chez Charles Perrault, dans des histoires d’horreurs racontées sur les journaux télévisés pour faire peur aux enfants trop insouciants.

Les erreurs de diagnostic et les décisions sans aucune garantie de pertinence courent toujours au château.

 

Bien entendu, tout ceci n’est qu’un conte, donc sans aucune vraisemblance ni ressemblance quelconque avec les réalités. Tout le monde sait qu’il n’y a pas de bottes pour chats dans les animaleries, et que les matous de compagnie préfèrent étrangler, si l’occasion s’en présente, les jeunes écureuils et les perruches babillardes du voisinage plutôt que de leur tenir conversation : ils risqueraient de capter l’affection des maîtres de la maison, et d’en profiter pour venir picorer dans leur gamelle.

 

… à plus …

commentaires

A
Voilà du tout bon Zénon!<br /> <br /> Heureusement que nos voisins sont gouvernés par des ogres, et nous, par des chats bottés!<br /> <br /> Pourvu que cela dure!
Répondre
E
Bien vu : entre deux maux il faut choisir le moindre !

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