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5 septembre 2013 4 05 /09 /septembre /2013 15:22

âne-lolo 

à quoi tient la valeur des choses …

 

Joachim-Raphaël Boronali est un peintre qui eut son heure de gloire au Salon des Indépendants en 1910, en pleine période impressionniste. Son tableau y fut vendu pour l’équivalent d’environ 1 500 euros. Il avait soulevé la controverse, certains critiques de l’époque le trouvant génial, d’autres très médiocre.

En réalité, ce peintre n’a jamais existé. C’était un pseudo, anagramme de Aliboron. Celui d’un âne nommé Lolo, à la queue duquel un trio de farceurs avaient attaché un pinceau, pour lui faire peindre, sous contrôle d’huissier, ce chef d’œuvre passé à la postérité. Il est maintenant propriété d’un musée local.

Quelque temps après, Lolo est mort noyé dans un étang emportant avec lui son talent et son inspiration. Certains ont prétendu qu’il s’était suicidé mais l’histoire ne précise pas si c’est à cause du harcèlement des paparazzis.

 

Le tableau a pour titre « Coucher de soleil sur l’Adriatique ». Il n’est pas à vendre. S’il l’était, quelle pourrait être sa valeur (s’agissant ici de valeur d’échange, évidemment, et non de valeur d’usage) ?

1 500 euros ? C’est probablement sa valeur comptable actuelle.

Si, en réalité, sa valeur est fonction de sa rareté (Ricardo), elle doit être énorme, inchiffrable. Cet objet est unique. Mais il en est d’autres encore plus emblématiques, qui ont eu des conséquences considérables, qui ont disparu rapidement, sans que cela ait eu un quelconque effet sur le cours des choses. Ils n’apporteraient rien d’utile au bien-être de l’humanité s’ils étaient retrouvés miraculeusement, par exemple la baignoire d’Archimède, le vase de Soissons ou la pomme de Newton. La rareté n’est pas une caractéristique probante et y a des myriades d’objets uniques.

Son coût de fabrication en salaires (Marx) ? Au  grand maximum quelques dizaines d’euros actuels. En travail effectif, peut-être une demi-heure de méditation d'un bourricot devant son picotin.

Une valeur artistique ? De l’avis des experts, c’est discutable.

Un prix de marché (libéralisme) ? Il n’y a pas d’autres œuvres de Lolo sur le marché et une croûte de peintre peut valoir entre quasiment rien dans une brocante et plusieurs dizaines de millions ou plus dans une vente  bien médiatisée.

 

Imaginons qu’il soit mis en vente, donc confié à la main invisible du marché, charge à elle de donner son verdict.

 

En fait, deux scénarii sont envisageables.

 

Dans le premier, les affairistes s’emparent de l’opération, exploitent l’anecdote instructive et humoristique, donnent beaucoup de publicité à l’affaire, font du buzz chez les célébrités, attisent les rivalités de celles qui veulent se faire remarquer et de celles qui cherchent des placements dans les œuvres d’art pour sécuriser leur patrimoine. S’ils s’y prennent bien, et on peut leur faire confiance pour cela, sa valeur comptable peut rapidement monter très largement au-dessus de sa valeur actuelle, au besoin en passant par plusieurs opérations de cession-acquisition. Les intermédiaires y trouveront largement leur bénéfice, avant que l’objet retourne s’endormir dans un coin.

 

Dans le second, les mêmes affairistes étoufferont l’affaire car faire trop de publicité au bon tour monté par de joyeux lurons en 1910 pourrait ouvrir les yeux des naïfs qui arrosent de leur épargne le marché des prétendues œuvres d’art, quelles qu’elles soient, si les soi-disant experts s’entendent pour en faire monter la cote car ils y trouvent leur intérêt. La vente avortera de manière très décevante pour le vendeur.

 

Il est probable que c’est le premier scénario qui l’emporterait. La naïveté des puissants (et des autres)  est bétonnée dès qu’ils sortent de leur domaine habituel d’exercice. Leur vanité ou leur cupidité est une mine inépuisable pour d’autres « primates-chasseurs-cueilleurs-opportunistes » doués d’assez  d’intelligence symbolique pour les piéger sur leurs points sensibles.

 

Tout ceci démontre déjà qu’il est très hasardeux de prétendre que la valeur (d’échange) d’un objet de possession est une caractéristique attachée à l’objet. Concernant sa valeur d’usage, comme elle est subjective et contingente, c’est tout aussi vrai.

Ceci laisse  aussi à penser que la main invisible du marché est capricieuse et dépend essentiellement de l’inspiration de quelques uns. Ce n’est sans doute pas faux. Cela conduit alors à préciser que cette main n’est pas véritablement capricieuse, mais qu’elle est plutôt une main baladeuse qui se dirige comme par hasard dans les directions où il y a quelque chose à palper.

 

Vous allez peut-être dire qu’il s’agit là d’un cas très particulier. Mais dès que l’on descend dans les détails de l’économie réelle, tout devient de plus en plus particulier.

Admettons donc que, selon les objets de possession, la main invisible soit plus ou moins bien qualifiée pour affecter une valeur optimisée à chacun de l’immense variété des objets de propriété. Déjà il faudrait préciser quel est le critère d’optimisation d’une valeur présentée sur le marché, mais passons sur ce détail de l’histoire de l’art et des autres disciplines. La conséquence d’un tel postulat est que la valeur comptable d’un actif est plus ou moins justifiée et peut dépendre essentiellement de mouvements d’opinion qui n’ont souvent d’autres fondements que les intérêts personnels de quelques arbitres installés dans ce rôle par le système socioéconomique.

A chacun son avis. Toujours est-il que ce n’est pas très rassurant quant à la solidité de la bulle des actifs comptables, énorme par rapport à la réalité des volumes de biens et services échangés, ou par rapport aux actifs décrétés patrimoniaux, en principe mieux justifiés.

« Remarquez, on s’en doutait ! ». C’était la formule favorite d’un de mes professeurs de mathématiques, au lycée, à la fin d’une démonstration laborieuse de la validité d’une équation par un élève au tableau. Il nous démontrait alors en deux coups de raisonnement que le résultat ne pouvait pas en être autrement et cela servait d’introduction à la suite du cours.

 

Prenez donc cette anecdote comme une formule de transition vers un billet ultérieur consacré lui-aussi à la valeur des choses. Le marché ne pourrait-il pas avoir la « main heureuse », au moins dans certains cas ?

 

à plus …

 

Post Scriptum – sept. 2015 :

 

La cote de certaines œuvres d’art modernes explose actuellement. Il s’agit là essentiellement de l’exploitation par les affairistes de la « beaufitude culturelle » politiquement correcte. Cette  espièglerie de la Belle Epoque n’était qu’une prémisse.

 

Le ressenti artistique est affaire d’émotion. Une œuvre artistique vise à créer de l’émotion mais tous les moyens sont-ils valables ? Pour ne pas faire pleurer, j’évoquerai l’incendie de Rome par Néron plutôt que les destructions sans nécessité de vestiges archéologiques ou historiques par vandalisme idéologique gratuit.

Dans le domaine prétendu artistique, il est facile de créer de l’émotion. Il suffit de toucher des cordes très sensibles et cela ne nécessite ni inspiration ni talent. Quatre moyens sont actuellement exploité de façon très commerciale : le sexe (mais cela est traditionnel), la scatologie, le gigantisme écrasant et la provocation des prétendus béotiens.

Deux exemples de cette dérive, à base de moyens combinés, ont fait récemment la une des médias en France car les pouvoirs publics les ont invités à défigurer des sites historiques avec des œuvres qu’on est tenu de respecter avec admiration pour ne pas vexer les prétentions culturelles de nos édiles, experts en tout comme chacun sait (même en économie). Il s’agit du « Plug anal » de Paul McCarthy, place Vendôme, et du « Vagin de la reine » de Anish Kapoor à Versailles.

L’art officiel est retombé en petite enfance, l’âge du « caca boudin » comme disent les psys.

article-l-enfance-de-l-art

 

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